Dom AUBOURG

Il y a 34 ans le moine bénédictin dom AUBOURG sauvait Bayeux

 

Juin 1994 – juin 1978. 34 ans se sont écoulés depuis le Débarquement en Normandie. Les gens du Bessin conservent précieusement le souvenir de ces heures tragiques qui ont permis la victoire.

 

La Normandie, a, pour sa part, payé un lourd tribut, puisque bon nombre de villes et villages ont été bombardés et mitraillés. Des villes rasées à 80% et 90%, des villages détruits et bien des morts sous ces ruines fumantes.

 

Par quel miracle, Bayeux est-elle sortie intacte de la bataille qui a été livrée en juin 1944 dans le Bessin ? La réponse c’est dom AUBOURG qui la donne, ce moine bénédictin qui, entre 1935 et 1960, fut aumônier de la communauté des religieuses de Saint-Vigor le Grand.

Le Docteur Henri LARDENNOIS, dans le 21ème volume de la Société des sciences, arts et belles lettres, édité en 1950, relate en effet l’entretien de dom AUBOURG avec un général anglais à Saint-Sulpice : «Ce chef anglais aurait appris à dom AUBOURG des nouvelles sensationnelles et formidables. Voyez plutôt : Caen a été pris facilement, comme Le Havre ; Cherbourg a coûté cher : 4000 hommes et 20 chars. Une autre armée s’emparant de Dunkerque menace Lille. Des diversions ont été tentées en Belgique et en Norvège. Ce n’était pas encore assez. Plus tard, d’autres Anglais ajoutaient qu’un corps français provenant d’Italie venait d’occuper Marseille».

 

Aux portes de Bayeux, le pont Saint Loup a été détruit. Les Allemands, embusqués dans le «bois de Boulogne» tiraillaient ; une chenillette, envoyée pour les combattre, brûlait près de l’école Letot.

 

«Pour moi, écrit le Docteur LARDENNOIS, cet entretien qui a duré une heure a été d’une importance capitale dans la décision des Anglais d’occuper Bayeux par une ruée brusque et rapide, sans la préparation d’artillerie et sans le bombardement préventif qui était leur pratique habituelle».

 

Dans la nuit du 6 au 7 juin 1944, dom AUBOURG n’avait pas fermé l’œil ; il avait entendu le bruit caractéristique des bottes et des talons ferrés ; les soldats de l’infanterie allemande refluaient à l’intérieur des terres. Le Docteur LARDENNOIS poursuit : «Le mardi soir, là où la route de Courseulles entre dans le village de Saint-Vigor, des pionniers avaient disposé six mines pour barrer le passage. Trois sentinelles allemandes surveillaient, tenant des grenades à manche».

Le mercredi à 7 heures, le père AUBOURG a dit sa messe. Aussitôt après, il est allé en campagne rendre compte des événements.

 

Les trois Allemands avaient fui le carrefour avec des bicyclettes volées. Derrière une haie, il aperçut une silhouette. C’était un officier anglais envoyé en reconnaissance. Il consultait une carte. Son revolver était tenu en laisse par un gros cordon.

 

Dom AUBOURG parle parfaitement l’anglais. Après les lois d’expulsion des congrégations en 1901, il a vécu 10 ans à l’île de Wight. Aussi va-t-il l’accoster : «Hello ! Morning ! I am very glad to see you Sir (je suis heureux de vous voir !)». C’est la formule rituelle de la salutation, mais le père y a mis l’accent ! Vigoureux «shake hand». La conversation s’engage. L’aumônier répond à toutes les questions, donne des renseignements intéressants, si bien que l’officier lui demande de venir avec lui au quartier général.

 

Au Q.G, le commandant est méfiant. Il redoute le piège et en veut rien risquer. Pour lui, à Saint-Vigor, l’acropole, da citadelle de Bayeux, il doit y avoir certainement des ouvrages défensifs ; des batteries dissimulées ou tout au moins des nids d’armes automatiques, qui vont déclencher un feu d’enfer à bout portant.

 

UNE OCCASION INESPEREE

 

«Le père lui affirme avec force que l’ennemi a complètement évacué Bayeux et Saint-Vigor, ne laissant pour barrer le chemin que quelques mines faciles à repérer. Il ajoute que les trois feldgrau laissés en arrière ont filé ce matin, en volant des bicyclettes».

 

D’après lui, il faut saisir cette occasion inespérée de s’emparer de Bayeux : sa connaissance de la langue anglaise, la chaleur de sa conviction, et peut-être aussi l’habit qu’il porte, confèrent à ses paroles une particulière autorité.

 

«Le vieux dur à cuire», dit dom AUBOURG, reste impassible, flegmatique et ne semble pas acquiescer. Il ne répond rien et interroge toujours. Il demande force renseignements sur les rigueurs de l’occupation, sur la conduite et la tenue des soldats allemands, enfin sur l’état d’esprit de la population, sur ceux qui se sont ralliés au maréchal PETAIN. L’entretien a duré une bonne heure. Le père prend congé et retrouve la chenillette qui le ramène à Saint-Vigor.

 

Le «commandant» attendait-il des ordres ou bien des indications données par les avions qui survolaient Bayeux ? Connaissait-il la destruction du pont de Saint Loup ?

Voilà l’aumônier rentré. La sœur a préparé le petit déjeuner. A peine a-t-il commencé que des soldats viennent le demander. Il leur faut de longues et solides ficelles pour extraire les mines des excavations où on les a déposées. Le père s’affaire et cherche des ficelles. Mais il y a contre ordre. Plus n’est besoin de ficelles. Des voisins, parmi lesquels Monsieur HENNINO, ont remarqué qu’on pouvait contourner ces engins en passant par la longue cour de la ferme DELAMARRE. Cette cour en effet, avait une porte en amont des mines et une autre porte en aval.

 

Dom AUBOURG voit donc passer et traverser des motocyclistes et de petits blindés. La décision est prise. Il remercie le ciel et, rassuré, fait honneur à son déjeuner réchauffé.

 

Un peu plus tard, arrivait l’artillerie. Le chef de la batterie, du haut de la colline, considérait longuement cette magnifique vue cavalière de Bayeux qu’admirent tous les touristes. Il sait heureusement que la ville a pu être libérée sans son intervention. D’après les renseignements donnés à Monsieur ESSELINE, la batterie commençait à tirer à 13 heures, mais sur le château de Vaulogé, à Sully.

 

Ainsi fut épargnée la capitale épiscopale. Epargnée miraculeusement, pensent beaucoup de Bayeusains. Il est vrai que, dans la tourmente de juin 1944, la libération de Bayeux dans le calme, sans bombardements, sans mitraillages, sans victimes … cela a été extraordinaire ; mais il ne faudrait pas oublier la courageuse intervention de dom AUBOURG, plus communément appelé «le moine qui sauva Bayeux».

 

 

Monique QUATRAVAUX, Journaliste à OUEST-France

Extrait du journal OUEST France du 05 juin 1978